Revolvers fabriqués en Europe

EUGENE LEFAUCHEUX

Fils de Casimir, l'inventeur de la cartouche à broche, Eugène Lefaucheux s'est très tôt révélé un armurier de génie, double d'un excellent homme d'affaires. Il serait fastidieux et hors de propos de reprendre ici toutes les étapes de sa vie, mais nous pouvons en citer les grands traits.

Né en 1832, il apprit très tôt avec son père les techniques de dessin et de manufacture des armes à broche inventées par ce dernier. Dès son plus jeune âge, il fut familiarisé avec les mécanismes d'armes; et à la mort de son père en 1852, seul des sept enfants restant encore en vie, il hérita non seulement l'armurerie et les brevets de Casimir, mais surtout son génie inventif et son profond intérêt pour la mécanique en général.

Afin de faire prospérer au mieux l'affaire héritée de son père, Eugène eut la bonne idée de se rendre à Liège afin de parfaire ses connaissances. Il se familiarisa non seulement avec les techniques de manufacture en pratique dans l'imposante industrie armurière belge, mais aussi avec l'art de la négociation que pratiquaient les firmes locales bien établies telles Pirlot, Dandoy, Francotte et Colette.

De retour à Paris fin 1853, il obtint un prêt d'argent de son futur beau-père, grâce auquel il entreprit de moderniser et de remodeler les ateliers de son père au 37, rue Vivienne à Paris, que sa mère avait continué à gérer pendant son absence. Son succès ne s'arrêtera plus.

Pendant l'année qu'il passa à Liège, Eugène fut grandement impressionné par les copies belges du Colt 1849 Pocket et du 1851 Navy. Comme le prouvent les croquis de sa toute première demande de brevet, ce sont ces modèles qu'il voudra au départ adapter à la cartouche métallique à broche. Bien que nulle part le nom de Colt n'ait été mentionné, il est évident que l'idée de base se rapportait à ces revolvers très populaires à l'époque.

Cependant, l'idée d'Eugène était non pas d'aller transformer des armes concurrentes déjà bien connues et appréciées, mais plutôt de breveter un système capable de moderniser tout revolver existant et de protéger cette innovation.

Ceci le conduisit à déposer, en avril 1854, une demande de brevet pour un revolver d'un type nouveau, qui sera appelé à devenir l'arme de poing militaire la plus largement utilisée en Europe pour plusieurs décades à venir, et qui donnera naissance à d'innombrables copies et dérivés qui feront la fortune des armuriers liégeois, espagnols, anglais, danois, allemands, français, russes et j'en passe. Il obtint le brevet 19380 le 10 juin 1854; et 12 jours plus tard, il déposa la même demande à Londres, accompagnée cette fois d'un croquis de ce qui deviendra le fameux Lefaucheux 1854.

Il obtint le brevet n° 995 à Londres en juillet 1854, et c'est ce brevet qui découragea Rolin White, un an plus tard, d'essayer de faire protéger en Angleterre son "invention" du barillet percé de part en part.

LE REVOLVER MODELE 1854

Il s'agit d'un revolver à carcasse ouverte, à simple action, dont la structure en 3 éléments n'est pas sans rappeler celle du Colt, quoique là s'arrête la comparaison.

Pratiquement aussi puissant et tout aussi solide et fiable que le Colt, le Lefaucheux présente l'immense avantage sur celui-ci d'utiliser une munition fiable, facile et rapide à charger, insensible aux intempéries et légère, ce qui la rend aisée à transporter. Son usage est très simple et à la portée de n'importe qui, ce qui n'est pas toujours le cas des revolvers à percussion du type Colt ou Adams.

Il n'est pas faux de dire qu'avec son "Modèle 1854", Eugène Lefaucheux avait créé l'arme de poing la plus moderne du monde à son époque.

L'arme fut fabriquée tant pour les marchés militaires ouverts que pour le marché civil. Elle porte la mention "Inv E. Lefaucheux Bvte SGDG à Paris", soit sur le haut du canon, soit sur le côté gauche de la carcasse, sous le barillet, soit les deux. Le n° de série, précédé généralement des lettres LF et d'un poinçon représentant un pistolet à brisure ouvert, se trouve du côté opposé sur la carcasse. Le canon mesure 155 mm et est au calibre 12 mm (.472)

En-dehors de quelques modifications du début de production, l'arme demeurera inchangée tout au long de sa production. La photo 3 montre un tout premier modèle, les photos 4.5 et 6 le modèle standard de cavalerie.

Le modèle "militaire" possède un pontet à repose-doigt et une calotte "diamant", tandis que le modèle civil possède un pontet rond et une calotte arrondie. Le modèle civil est souvent confondu avec le 1858 de Marine.

Ces revolvers ont été produits à des centaines de milliers d'exemplaires et ont équipé plusieurs armées européennes, mais revenons aux Etats-Unis et à la guerre de Sécession.

LES ACHATS DE L'ARMEE DE L'UNION

Bien qu'au courant des essais et de l'adoption de l'arme par l'armée française, et malgré tous les rapports favorables, le US Ordnance Department ne commença à s'intéresser à l'arme qu'en mai 1857. Après une série de tests, le revolver Lefaucheux fut jugé excellent et proposé comme arme de poing pour la cavalerie. Il était également commercialement soutenu par la firme Sharps; cependant, le chauvinisme américain fit que les gros contrats furent signés avec les producteurs américains tels que Colt, Remington et Starr qui en étaient toujours au vieux système à percussion. Il fallut attendre la chute de Fort Sumter en 1861 pour que le Lefaucheux devienne enfin une arme militaire appréciée.

Juste avant le début des hostilités, Eugène Lefaucheux avait obtenu un brevet aux USA, sous le n° 31809, tant pour un fusil que pour son fameux revolver.

Ensuite, entre septembre 1861 et mars 1862, l'armée de l'Union acheta au total 11.833 Modèle 1854, dont 10.000 furent livrés par Lefaucheux en direct, 1500 par Alexandre Godillot (Paris et Liège), et 333 par 6 autres transitaires américains. TOUS ces revolvers ont été fabriqués par Eugène Lefaucheux et portent des numéros de série allant du 25067 au 36900. Ils ont tous été distribués aux troupes et ont servi pendant le conflit. Le revolver des photos 4 à 6 porte le n° de série 34059 et est un de ceux-là. L'armée de l'Union acheta également 1.815.680 cartouches de calibre 12 mm à broche, dont environ 10 % furent fabriquées sur place par C.D. Leet & Co. (cette société est mieux connue de par son association avec Gallager).

LES ACHATS DE L'ARMEE CONFEDEREE

On sait que le capitaine Caleb Huse, alors âgé de 31 ans, se trouvait à Londres et avait pleins pouvoirs pour acheter le plus possible d'armes pour le compte de la Confédération. On sait également que son plus gros fournisseur était la London Armoury Co, qui fournit à elle seule 80.000 fusils Enfield et 9.000 revolvers Kerr à percussion.

Il est également établi que Huse acheta par le biais de cette société nombre de revolvers à broche du modèle 1854, et que par ailleurs la London Armoury en avait déjà vendu aux Etats-Unis avant la guerre de Sécession, et même pendant celle-ci via son agence sur place.

Les archives CSA sont très fragmentaires, mais permettent néanmoins d'estimer à 250.000 le nombre approximatif d'armes de poing de différents types importées par la Confédération durant les années de guerre. Ces armes venaient d'Angleterre, de France et de Belgique pour la plupart. On ignore le nombre exact de revolvers Lefaucheux 1854 utilisés par les soldats confédérés, mais les daguerréotypes qui ont survécu prouvent que ce revolver a été largement utilisé. D'autre part, les Confédérés éprouvant de grosses difficultés à se procurer des armes et munitions, se sont rabattus sur tous les types de revolvers à broche qu'ils pouvaient se procurer, qu'ils soient en 12 ou en 9 mm, et même en 7 mm faute de mieux.

Au cours de la guerre, le blocus nordiste devenant de plus en plus efficace, les Confédérés durent avoir recours à des transports fractionnés et transitant par les Bermudes et autres destinations, sous des appellations diverses masquant la nature exacte des marchandises transportées. Il est même établi que les Confédérés achetaient des armes à New-York chez des sympathisants sudistes comme Schuyler ou Hartley & Graham, et que ces armes étaient passées en fraude à travers les lignes de l'Union.

Sans archives détaillées, il est très difficile d'estimer le nombre de revolvers Lefaucheux 1854 importés et utilisés par les troupes confédérées; mais différents auteurs, sur base des informations fragmentaires qui nous sont parvenues, s'accordent à en estimer le nombre entre 2.000 et 5.000, rien que de ce modèle.

 Marcel

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