Les Revolvers British Bull Dogs de Webley

 

Les conditions d’une genèse

 

Toute avancée technologique s’appuie sur les précédentes. Rappelons quelques jalons ayant permis la genèse du British Bull Dog de Webley.

 

1836 : Colt définit la structure du premier revolver de l’ère moderne (Colt Paterson), encore à chargement par l’avant du barillet.

 1847 : Invention de la cartouche à percussion annulaire par Flobert.

1854 : Revolver Lefaucheux en calibre 12 mm à broche.

1858 : Lancement du Smith & Wesson N°1 en calibre 22 annulaire, et à barillet foré de part en part avec chargement par l’arrière et cartouche métallique.

1866 : Invention de la munition à percussion centrale Boxer, ouvrant la voie aux cartouches métalliques de puissance et calibre plus importants.

1867 : Webley réalise la synthèse et perfectionne les concepts de Tranter et Adams pour créer le revolver Royal Irish Constabulary (RIC) qui sera l’ascendant direct du British Bull Dog.

 

 

 

1890-1892 : La généralisation de la poudre sans fumée marque le début du déclin des revolvers à poudre noire… Mais ce déclin durera jusqu’au milieu du 20° siècle !

 

On peut noter que le design final des revolvers RIC et British Bull Dogs fut le fruit de divers tâtonnements de la part de Webley qui mit plusieurs années à affiner son concept. Les modèles présentés ci-dessous témoignent de cette période, allant de la moitié des années 1860 à celle des années 1870.

 

 

 

 

 

Ces revolvers étaient caractérisés par une tige d’extraction vissée dans la poignée et une lame-ressort fixée sur la carcasse en guise de sûreté en permettant le blocage du chien. Ces armes de qualité étaient néanmoins affectées par un système de verrouillage du barillet archaïque, engendrant un jeu latéral assez pénalisant au tir.

 

Historique

 Le British Bull Dog naît dans la deuxième moitié du 19° siècle sous l’impulsion de l’armurier anglais Webley. Il s’agit d’une extrapolation de son revolver RIC créé en 1867 lequel, par sa destination à un usage militaire et policier, est trop lourd et encombrant pour une utilisation civile. La date de naissance précise du British Bull Dog est parfois sujette à débat, mais les premières mentions de cette arme remontent à la période 1872-1874 (photo suivante). La plupart des spécialistes s’accordent désormais sur une date de naissance en 1872 et un début de commercialisation en 1873.

 

 

 

De nombreuses variantes seront ensuite produites par Webley lui-même, puis par des artisans de toutes nationalités dont une grande proportion à Liège en Belgique. Les modèles de Webley les plus aboutis seront produits jusqu’aux années 1930, notamment sous la forme du RIC modèle 83, dérivé du Bull Dog N°2 en calibre 450 (photo suivante, catalogues Stoeger 1928 & 1934).

 

 

 

Le modèle N°2 « final pattern » du Bull Dog Webley sera proposé à partir de 1878 en différents calibres, avec une prédominance en fin de carrière des calibres européens 320, 380 et 450 Bull Dog (photos suivantes).

 

 

 

 

 

 

 

Cette arme sera rapidement adoptée par une clientèle souhaitant disposer d’un revolver fiable et compact, aisé à transporter dans une poche de veston ou de pantalon et apte à utiliser des munitions de puissance respectable, en tout cas bien supérieure aux modèles précédemment sur le marché. Par exemple, l’exportation aux Etats-Unis constituera rapidement un débouché important pour Webley, comme en témoigne le catalogue Fisher de 1880 présenté ci-dessous.

 

 

 

Sur le continent américain, les meilleures copies, et les plus proches du dessin original de Webley, sont dues à la société Forehand & Wadsworth qui commercialise avec succès d’excellents revolvers de type British Bull Dog.

 

 

 

 

 

Trois calibres sont essentiellement proposés par le fabricant américain, à savoir les calibres 44, 38 et 32. Ces modèles peuvent se trouver de nos jours encore assez facilement grâce à une production importante, en tout cas très supérieure à celle de Webley.

 

 

 

Le marché continental de l’arme de poche ne peut ignorer le progrès apporté par ces revolvers comparativement aux modèles alors sur le marché (systèmes à broche type Lefaucheux, poivrières et derringers, etc). En effet, le Webley Bull Dog offre une remarquable puissance de feu pour un volume et un poids réduits. Typiquement, un Bull Dog de gros calibre mesure environ 16 cm en longueur et pèse de 450 à 550 grammes. Les fabricants et revendeurs français ont astucieusement exploité un argument commercial habile en les chambrant dans un calibre d’environ 12 mm, lequel est fréquemment spécifié dans les catalogues d’époque. Ainsi ces revolvers d’usage civil ou de « back-up » des professionnels des armes pouvaient accommoder indifféremment les munitions en calibres 442, 450 et en calibre réglementaire français de 11mm73. Ceci offrait aux militaires, gendarmes et policiers une arme de poche apte à utiliser les mêmes munitions que leurs revolvers d’ordonnance bien plus lourds et encombrants que ces Bull Dogs compacts et deux fois plus légers. Bien entendu la précision pouvait s’en ressentir puisque les balles pouvaient « flotter » un peu dans les rayures du canon, mais un revolver de poche à canon court n’a aucune destination au tir de précision. On retrouvera souvent cet argument publicitaire dans les notices et dépliants d’époque.

Quoique de dimensions voisines, les munitions de calibres 442, 450 et 11mm73 présentent quelques différences, dont les valeurs moyennes sont indiquées ci-dessous :

 

- 11 mm 73 : diamètre de l’ogive 11,46 mm, longueur de l’étui 18 mm, longueur totale 29 à 30 mm, puissance environ 100 Joules.

- 442 : diamètre de l’ogive 11,07 mm, longueur de l’étui 17 mm, longueur totale 28 mm, puissance environ 200 Joules.

- 450 : diamètre de l’ogive 11,6 mm, longueur de l’étui 17 mm, longueur totale 28 à 29 mm, puissance supérieure à 200 Joules.

 

Le bourrelet des cartouches en calibre 450 est plus épais que celui des munitions réglementaires de 11mm73, et l’ogive ainsi que l’étui sont légèrement plus larges. En revanche le calibre réglementaire français présente une longueur totale un peu supérieure. Ces nuances empêchent un chargement et une rotation aisés dans les armes conçues avec précision pour un calibre donné. Cet inconvénient était donc détourné par les fabricants grâce à un chambrage « large » et tolérant, ce qui permettait l’utilisation des différentes cartouches…

 

 

 

Insistons sur l’extrême rareté des authentiques British Bull Dogs de Webley. Sans qu’il soit aisé d’en estimer la production totale, les experts du domaine n’en n’ont mondialement recensé qu'environ 1.500 exemplaires parvenus jusqu’à nos jours, les petits calibres étant nettement plus rares. Les images qui suivent décrivent quelques exemplaires de British Bull Dogs Webley ayant été commercialisé en France ces dernières années.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les British Bull Dogs dans l’histoire

 Les revolvers Bull Dogs furent impliqués dans de nombreux faits-divers dont le recensement serait fastidieux et d’intérêt mineur. Cependant quelques-uns d’entre eux furent associés à des événements d’importance réelle. La plus célèbre intervention d’un Bull Dog dans la grande histoire est sans nul doute celle qui concerne l’assassinat en 1881 du 20° président des Etats-Unis d’Amérique, James A. Garfield par Charles J. Guiteau. Celui-ci, reprochant au président son ingratitude, décide que sa mission est de l’assassiner. Il emprunte quelques dollars pour acheter une arme de gros calibre, et porte son choix sur un British Bull Dog. La nature exacte de ce revolver reste sujet de controverses, car il sera perdu après l’attentat, puis retrouvé et exposé dans un musée aux USA, avant de disparaître à nouveau ! Il est donc difficile d’établir avec certitude la marque et le modèle du revolver. Cependant, plusieurs sources indiquent qu’il s’agirait d’un Webley N° 2, doté d’une crosse aux plaquettes d’ivoire afin, d’après Guiteau lui-même, qu’il fasse la meilleure impression lorsqu’il serait exposé après le crime…

 

 

 

L’exemplaire dont les images sont disponibles, soit par des gravures d’époque, soit par la photographie du musée qui en disposera quelque temps, n’est cependant pas un Webley…

Mais il est fort possible qu’il y ait eu substitution de l’arme dans la confusion suivant les tirs et l’arrestation de l’assassin.

 

 

 

Les British Bull Dogs au cinéma et en littérature

 Au cinéma et en littérature, les British Bull Dogs se rencontrent occasionnellement dans les westerns, mais il s’agit généralement d’armes américaines type Forehand & Wadsworth, comme dans les films "Impitoyable" et "L’homme des hautes plaines" de Clint Eastwood. Le plus souvent, ils sont associés aux "thrillers" victoriens, notamment ceux inspirés de Jack l’Eventreur ("From Hell" avec Johnny Depp par exemple).

Mais surtout, ils s’illustrent au cinéma en tant que fidèles compagnons de Sherlock Holmes et du Dr Watson. On en discerne plusieurs exemplaires dans les épisodes de l’excellente série Granada avec Jeremy Brett, ainsi que dans les versions récentes réalisées au cinéma par Guy Ritchie, avec Robert Downey Jr (Sherlock Holmes) et Jude Law (Dr Watson). Néanmoins, si l’on se réfère au strict canon Holmésien, c’est-à-dire aux œuvres romanesques effectivement écrites par Arthur Conan Doyle, la nature exacte des armes portées par les deux associés reste suffisamment mystérieuse pour alimenter sans fin les discussions des passionnés du 221B Baker Street ! En effet, il n’est jamais indiqué de façon précise une marque ou un modèle d’arme de poing dans les diverses aventures de Sherlock Holmes. Le terme revolver y revient très souvent, ce type d’arme est donc sans équivoque porté par Sherlock et Watson. Plusieurs célèbres gravures de Paget illustrant les aventures du duo montrent en effet des revolvers en pleine action dans les mains des héros.

 

 

 

 

 

Mais de quels revolvers peut-il s’agir ? Examinons les quelques indices laissés par l’auteur. Watson et Holmes seraient nés au milieu des années 1850, probablement 1852 pour Watson et 1854 pour Sherlock. Ce dernier débute sa carrière en 1878, année où Watson obtient son diplôme de doctorat en médecine. En 1879, le Dr Watson part faire la guerre en Afghanistan où il sera blessé. De retour en Angleterre en 1881, il rencontre Holmes et s’installe avec lui au 221B Baker Street. Dès leur première enquête cette année-là, "Une étude en rouge", il est mentionné que Watson possède "un vieux revolver d’ordonnance avec quelques cartouches". Il ne peut guère s’agir ici d’un British Bull Dog, de conception trop récente et d’usage civil et non militaire. On peut supposer que l’auteur évoque un revolver Adams. Ce vieux revolver réapparaît en 1888 lors de l’aventure intitulée "Le signe des quatre", à l’issue de laquelle ce bon Docteur trouvera épouse, puis en 1890 dans "La ligue des rouquins". Mais la plupart des textes de Conan Doyle parlent de revolvers "de poche", caractéristique qui n’est pas vraiment adaptée à un revolver d’ordonnance lourd de nettement plus qu’un kg, et disposant d’un canon de 4 à 6 pouces. L’option d’un British Bull Dog devient alors assez crédible. Une précision, laquelle ne fait du reste qu’ajouter au mystère, est donnée dans la nouvelle "La bande tachetée", où Sherlock Holmes conseille au Dr Watson de glisser dans sa poche son revolver, "un Eley N° 2"… Eley est un fameux fabricant britannique de cartouches, mais qui n’a au grand jamais produit la moindre arme à feu !

 

 

 

Cette aventure se déroulant en 1883, soit environ dix ans après la commercialisation des premiers British Bull Dogs Webley N° 2, et donc en pleine période de succès pour ce modèle, il est extrêmement tentant de voir un lapsus dans la prose de Doyle, et d’imaginer que Watson a acquis un Webley tout neuf en complément de son Adams…Cette idée est renforcée par la lecture "L’aventure des 7 horloges" se déroulant en 1887. Cette nouvelle est issue de l’ouvrage "Les exploits de Sherlock Holmes" par Adrian Conan Doyle, le propre fils d’Arthur Conan Doyle. On y lit qu’Holmes sort d’un tiroir de son bureau un Webley 320 avec des cartouches N° 2. Aucun doute ne subsiste : les deux hommes sont munis de Webley Bull Dogs N° 2, tout au moins occasionnellement !

Une affiche éditée en Grande-Bretagne évoque les armes potentiellement détenues par le détective et son biographe au long de leur carrière. Un Webley Bull Dog N°2 y figure en bonne place !

 

 

 

Jean-Christophe Plaquevent

 

Références et bibliographie

Et pour en savoir plus, voici une sélection de superbes ouvrages détaillés…

Webley Solid Frame Revolvers, N°1, 1&1/2, 2, Bull Dogs & Pugs

par Joel Black, Homer Ficken & Frank Michaels

La Bible définitive en ce qui concerne les Webley et les Bull Dogs britanniques. Superbe ouvrage abondamment illustré de splendides photos, et compilant l’ensemble des connaissances acquises dans le domaine par les meilleurs experts des Etats-Unis. La référence absolue !

Hardcover: 288 pages

Publisher: Schiffer Pub Ltd (December 28, 2008)

Language: English

 

The British Bulldog - The Forgotten Gun that Really Won the West

par George Layman

 Excellent petit livre truffé d’anecdotes et d’histoires sur les Bull Dogs du marché américain. Sa lecture est fluide et souvent amusante, mais également très instructive, notamment en ce qui concerne les revolvers fabriqués aux Etats-Unis par Forehand & Wadsworth.

 Hardcover: 191 pages

Publisher: Andrew Mowbray Inc., Publishers (December 1, 2006)

Language: English

 

R.I.C. et Bull Dog et leurs dérivés

par Gérard Lecoeur & Michel Léger

Très bon petit ouvrage, en français, d’introduction à l’histoire des RIC et Bull Dogs. Les auteurs réalisent un tour d’horizon de la production des différentes nations, après un bref historique consacré à Webley. Beaucoup d’informations utiles sont compilées dans ce livre à la lecture agréable.

Broché: 144 pages

Editeur : Editions Crépin-Leblond (9 septembre 2008)

Langue : Français