Les revolvers Bull Dogs de Gastinne Renette

 

Henri Renette s’établit à Paris dès 1793, et s’associe ensuite avec Louis Gastinne, homme au glorieux passé militaire lors des campagnes napoléoniennes. En 1834, le fils de Louis épouse la fille d’Henri. Le couple établit un magasin en 1857, près des Champs-Elysées à Paris. Leur fils, Jules, leur succédera en 1870, puis sera remplacé par Paul Gastinne-Renette en 1901.

 

 

 

Après la proclamation de l’Empire en 1852, la Maison Gastinne Renette devient le fournisseur attitré de l’Empereur Napoléon III et de la cour impériale. Adresse parisienne incontournable des duellistes, l’entreprise établira un stand de tir fréquenté par le Tout-Paris. Surtout réputée pour ses armes de chasse, de tir et de luxe, la maison Gastinne Renette a également compris très vite l’intérêt du revolver. Dès 1853, il importe des revolvers Tranter à percussion, qu’il finit à Paris. Les N° 312 et 313 de la revue « La Gazette des Armes » dressent un excellent panorama de cette époque de Gastinne Renette. On notera que ces armes importées étaient gravées (mais pas toujours) de l’inscription « Fni par Gastinne Renette », dans laquelle le sens de l’abréviation Fni est toujours resté ambigu, pouvant s’interpréter par « Fini par » ou « Fourni par ». Cette opacité innocente ou volontaire sera relevée avec une ironie mordante par Galand, dans ses Albums et Traités d’Armurerie.

Cependant, seul un très petit nombre de British Bull Dogs a été commercialisé par Gastinne Renette, et probablement sans qu’aucun exemplaire ne soit issu de leur propre fabrication. Les modèles décrits ci-dessous sont les uniques exemplaires connus à ce jour, et peut-être même les seuls ayant jamais été commercialisés par la maison parisienne. Le prestige de la maison se retrouve dans le soin des armes sélectionnées. Ainsi, Gastinne Renette a commercialisé d’authentiques Webley Bull Dogs N°2, ce qui suggère une coopération entre les deux marques pour une importation officielle en France. En effet, le Webley Bull Dog N°2 présenté ci-dessous est le seul exemplaire de ce modèle à posséder à la fois le logo Webley et un marquage de revendeur français, selon l’expert américain Homer Ficken qui a établi une liste d’environ 1500 exemplaires de Webley Bull Dogs. Déjà unique par cette particularité, ce Bull Dog dispose également d’un anneau de calotte, accessoire rarissime chez ce type d’arme, contrairement aux revolvers RIC qui en sont souvent dotés.

 

 

 Le numéro de série indique une date de fabrication située entre 1874 et 1876 selon les travaux d’Homer Ficken. Si l’on se souvient que le Webley Bull Dog ne fut construit qu’à partir de 1872, on peut admirer la réactivité de Gastinne Renette à en assurer l’importation en France. Nous développerons plus loin une hypothèse sur les conditions de la rencontre entre ces deux prestigieux fabricants d’armes.

Un autre exemplaire de Webley Bull Dog distribué par Gastinne Renette est connu. À la différence du modèle précédent, ce superbe exemplaire finement gravé, en calibre 450, ne porte pas le logo de Webley mais uniquement le nom du revendeur français. Il est possible que le marquage de la balle ailée ait été soigneusement poli à Paris avant commercialisation, mais plus probablement que le fabricant anglais ait livré cet exemplaire sans indication de marque, comme ceci se faisait régulièrement entre partenaires commerciaux de l’époque (comme les armuriers liégeois avec Manufrance). Son numéro de série, toujours selon la datation d’Homer Ficken, place sa fabrication vers 1880, donc postérieurement au modèle précédent. L’origine Webley ne souffre d’aucun doute, par le numéro de série cohérent, les poinçons d’épreuve anglais sur le canon et les chambres, ainsi que la conformité des pièces mécaniques internes caractéristiques.

 

 

 De plus, les gravures de cet exemplaire sont absolument identiques à celles d’un N°2 Webley portant la marque de Webley, mis aux enchères sur un site de vente des USA. Les numéros de série de ces deux modèles ont très proches, et il est évident que leur fabrication fut pratiquement, sinon totalement, simultanée.

 

 

 

L’hypothèse d’une importation contractuelle de revolvers Webley par Gastinne Renette est également étayée par l’existence d’un Webley RIC portant l’adresse du revendeur parisien. Ce superbe exemplaire est non moins remarquable que les précédents car doté d’une rarissime crosse amovible. Il s’agit d’une version précoce du RIC en calibre 442, sans doute antérieure à 1870.

 

 La distribution de British Bull Dogs Webley n’est pourtant pas exclusive pour Gastinne Renette, comme démontré par l’apparition sur le marché de la collection d’un joli Bull Dog en calibre 380 visiblement d’origine liégeoise bien que portant simultanément les poinçons d’épreuve belges et français !

 

 

 

Le lien de Gastinne Renette avec les fabricants anglais se retrouve dans la commercialisation de petits revolvers Tranter, acquis en Angleterre et « finis » en France par la maison parisienne, qui en faisait de même avec les armes américaines de Smith et Wesson.

 

 

 

Pour conclure, nous tirerons l’observation que Gastinne Renette fut très prompt à importer les revolvers Webley Bull Dogs et RIC, et ceci probablement en petite quantité. Les exemplaires sélectionnés pour le marché parisien furent choisis de manière à respecter la haute réputation de qualité de la maison. En effet, les rares pièces connues répertoriées ci-dessus sont tout à fait exceptionnelles par leurs caractéristiques (présence rarissime d’un anneau de calotte, fine gravure, finition parfaite, adaptation d’une crosse d’épaule), ainsi que leur qualité de fabrication.

Le nombre précis de Webley vendus à Paris par Gastinne Renette reste inconnu à ce jour, mais le document suivant permet de s’en faire une relative idée. Il s’agit d’un feuillet inclus dans une brochure où l’armurier décrit essentiellement les activités de tir qui sont proposées par la maison. Les indications portées dans ce document permettent de le dater entre 1911 et 1913. Le feuillet en question porte sur une série d’armes déclassées, neuves ou d’occasion, qui sont offertes à des prix diminués en raison de leur relative obsolescence à l’orée de la première guerre mondiale. Dans la liste consacrée aux armes de poing, on peut noter la présence de 24 revolvers Webley (3 en calibre 320, 8 en calibre 380 et 13 en calibre 442). Ces calibres européens typiques de la fin du 19° siècle laissent supposer que certains de ces Webley étaient des Bull Dogs ou des RIC. On remarque également les rabais accordé sur 8 revolvers en calibre 12 mm CF, mais leur prix inférieur et l’absence de référence à un fabricant exclut qu’il ait pu s’agir de revolvers Webley. En l’occurrence, il s’agissait sans doute de copies belges.

 

  

 

Enfin, nous souhaitons maintenant proposer au lecteur une hypothèse historique concernant la possible rencontre des deux armuriers auxquels est consacré ce chapitre, le français Gastinne Renette et l’anglais Webley, lesquels deviennent des partenaires commerciaux pour la distribution en France du British Bull Dog. Cette rencontre et le début du partenariat ne peuvent avoir été conclu qu’entre 1872 (date de naissance des premiers British Bull Dogs à Birmingham) et 1874-75 (date de naissance de l’exemplaire bronzé N° 22593 présenté ci-dessus).

Or, l’année 1873, pleinement compatible avec ces critères, et millésime riche de création pour l’armurerie mondiale, fut honorée d’une exposition universelle de grande importance, située à Vienne en Autriche. La délégation française comptait dans ses rangs Mr Jules Gastinne Renette, présent en tant que membre du jury, ainsi que ses contremaîtres Mrs C. Rode et J. Filot. Dans son rapport sur les armes portatives, Mr Gastinne Renette écrit : « L’Angleterre est faiblement représentée à l’exposition de Vienne. L’absence d’un certain nombre d’armuriers célèbres de Londres et Birmingham s’y fait remarquer et regretter. Toutefois, ceux qui sont venus soumettre leurs produits à l’examen du Jury méritent d’y être très honorablement mentionnés. Les armes anglaises se distinguent toujours par une confection irréprochable, par l’élégante simplicité et le fini du travail… ».

Parmi les exposants anglais présents, la maison P. Webley & Sons est récompensée d’une « Médaille de Progrès », avec le commentaire suivant du Jury :

« Représentants seuls, mais avec honneur, l’industrie de Birmingham ».

 

 

 

 On notera que Gastinne Renette, ne pouvant concourir en tant que membre du Jury, sera classé hors-concours, mais obtiendra une médaille de coopération pour ses deux contremaîtres Rode et Filot.

  

 

Nous ignorons si la direction de Webley était présente physiquement à cette exposition, mais les éléments ci-dessus ne laissent aucune hésitation à prétendre que Gastinne Renette et ses contremaîtres ont pu juger de la qualité des armes anglaises à cette occasion. Il est également très probable que le fabricant anglais ait profité de l’exposition universelle pour présenter sa dernière création, le British Bull Dog. Sans nul doute, ce fut pour Gastinne Renette l’opportunité de créer des liens avec les représentants de Webley et d’entreprendre le partenariat commercial développé ci-dessus. De façon amusante, un autre grand nom de l’armurerie fut également primé lors de cette manifestation. Il s’agit de Mr. Galand, qui reçut une médaille du mérite au titre de l’armurerie française (pour la petite histoire, il fut, en d’autres occasions, classé dans la délégation belge, notamment lors de l’exposition universelle de Paris en 1878). La médaille du mérite était réservée aux exposants se présentant pour la première fois au concours, alors que celle du progrès récompensait les artisans ayant déjà participé à une exposition universelle. À l’instar de Mr. Gastinne Renette, il est probable que Mr. Galand eut l’occasion de découvrir la production de Webley lors de l’exposition universelle de Vienne, et ses propres Bull Dogs prirent peut-être leur origine en Autriche au cours de l’année 1873…

 

 

 

Les documents reproduits ci-dessous sont des extraits du rapport de Gastinne Renette à l’issue de l’exposition universelle de Vienne de 1873, où l’on retrouvera les informations résumées dans les lignes précédentes (source : Cnum-Conservatoire numérique des Arts et Métiers-http://cnum.cnam.fr).

 

 

  

  

  

  

Jean-Christophe Plaquevent

 

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